Les juges du Conseil d'Etat

La Province du Kwango a saisi le Conseil d’Etat avec deux requêtes, le mardi 29 décembre 2020, dont l’objet relève les irrégularités de la procédure de réhabilitation de Monsieur Peti-Peti, gouverneur démissionnaire, qui avait été rétabli dans ses fonctions par le Vice-Premier Ministre et Ministre de l’Intérieur, Sécurité et Affaires Coutumières, Gilbert Kankonde. Lire aussi: La province du Kwango face aux dérives du Vice-Premier ministre en charge de l’Intérieur [Tribune]

Entrée du siège du Conseil d'Etat à Kinshasa
Panneau à l’entrée du siège du Conseil d’Etat à Kinshasa Gombe

Ces deux requêtes émanent du Professeur Mabaka Mukwabuhika Placide, qui fonde son action sur l’article 64 de la Constitution, lequel impose à tout Congolais d’empêcher quiconque, notamment, d’exercer le pouvoir en violation des dispositions pertinentes de notre Loi Fondamentale.

Requêtes contre des décisions litigieuses

Par la première requête, le requérant sollicite le Conseil d’Etat de suspendre immédiatement la décision litigieuse demandant au Gouverneur démissionnaire de la Province du Kwango « de reprendre sans délai (ses) fonctions », et d’enjoindre le VPM de l’Intérieur, Sécurité et Affaires Coutumières de notifier -dans les plus brefs délais- à la CENI la démission de Monsieur Peti-Peti de ses fonctions de Gouverneur de la Province du Kwango, afin que celle-ci, conformément aux exigences de l’article 160 de la Loi électorale en vigueur, organise l’élection des nouveaux Gouverneur et Vice-Gouverneur de la Province du Kwango.

Dans la seconde requête, la partie requérante demande au Conseil d’Etat d’annuler la décision litigieuse demandant au Gouverneur démissionnaire de la Province du Kwango « de reprendre sans délai (ses) fonctions », pour violation flagrante des formes substantielles ou prescrites à peine de nullité, excès et/ou détournement de pouvoir, et d’enjoindre le Vice-Premier Ministre, Ministre de l’Intérieur, Sécurité et Affaires Coutumières de notifier –dans les plus brefs délais– à la CENI la démission de Monsieur Peti-Peti de ses fonctions de Gouverneur de la Province du Kwango afin que celle-ci, conformément aux exigences de l’article 160, alinéa 3 de la loi n° 06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales, telle modifiée à ce jour, organise l’élection des nouveaux Gouverneur et Vice-Gouverneur de la Province du Kwango.

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Les turpitudes du VPM

Gilbet kankonde, ministre de l'Intérieur
Gilbert Kankonde, Vice-Premier ministre en charge de l’Intérieur et Décentralisation

En effet, le Professeur Mabaka et ses avocats fondent leur action sur les différentes violations dont le VPM est coupable dans les décisions qu’il a prises dans cette affaire, et se basent notamment sur le fait que la décision du VPM est entachée d’irrégularité manifeste, puisqu’elle viole autant certaines dispositions de la Constitution du 18 février 2006, telle que modifiée à ce jour, que celles de la loi n° 06/006 du 9 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales telle que modifiée.

Se basant sur le principe du parallélisme de forme et de compétence, ils soutiennent la violation manifeste estiment de l’article 198, alinéa 2, seconde phrase de la Constitution aux termes duquel le Gouverneur et son Vice « sont investis par ordonnance du Président de la République ». Or, Monsieur Peti-Peti Tamata Jean-Marie avait été investi dans ses fonctions par une Ordonnance du Président de la République, en date du 29 avril 2019 (Ordonnance n° 19/040 du 29 avril 2019 portant investiture du Gouverneur et du Vice-Gouverneur de la Province du Kwango). Cette Ordonnance lui fut notifiée par le Ministre de l’Intérieur et Sécurité de l’époque, le 07 mai 2019 (Lettre N° 25/CAB/VPM/MININTERSEC/BOP/760/2019).

Démission en âme et conscience

Seulement, par une lettre du 26 juin 2020, Monsieur Peti-Peti, ancien Gouverneur de la Province du Kwango, décida librement, et en toute connaissance de cause, de déposer sa démission auprès de celui qui l’avait investi dans ses fonctions, à savoir : le Président de la République, Chef de l’Etat. Or, quand bien même l’on admettrait que le Président de la République aurait refusé ou rejeté cette démission, il revenait donc à ce dernier d’investir à nouveau Monsieur Peti-Peti Tamata Jean-Marie par une nouvelle Ordonnance, dûment motivée.

Jean-Marie Peti-Peti, Gouverneur démissionnaire de la province du Kwango dans une salle
Jean-Marie Peti-Peti, Gouverneur démissionnaire de la province du Kwango.

Mais dans le cas d’espèce, Monsieur Kankonde, Vice-Premier Ministre en charge de l’Intérieur, Sécurité et Affaires Coutumières, s’est permis de réhabiliter le Gouverneur démissionnaire, alors qu’il n’en avait ni le pouvoir, encore moins la compétence. Il y a donc là excès et détournement de pouvoir avéré, tout ceci en violation flagrante du principe du parallélisme de forme et de compétence. Par conséquent, il va sans dire que le VPM de l’Intérieur, Sécurité et Affaires Coutumières a agi en violation certaine de l’article 198, alinéa 2.

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Persiste et signe!

Qu’à cela ne tienne, Monsieur Gilbert Kankonde ne s’est pas arrêté là ; il a également violé l’article 93, alinéa 2 de la Constitution. En effet, aux termes de cette dernière disposition, le ministre a l’obligation de « statue(r) par voie d’arrêté ». Dans le cas d’espèce, il aurait dû statuer, conformément à l’article 93, alinéa 2 de la Constitution susmentionnée, par « voie d’arrêté » et non par simple « Message officiel ». L’opinion se souviendra que c’est par un « message officiel » dans un style télégraphique que Monsieur Peti-Peti avait été reconduit dans ses fonctions de Gouverneur.

Pis encore, ledit Message est dépourvu de toute base juridique et n’est nullement motivé. Il s’ensuit que l’acte par lequel le Ministre Kankonde a réintégré Monsieur Peti-Peti dans ses fonctions, après sa démission volontaire, est entaché d’irrégularité tant en la forme que dans le fond. Autrement dit, on a ici affaire à une illégalité tant interne qu’externe de l’acte ayant produit des effets juridiques décisifs, ce aux dépens de la Paix et la Stabilité dans la Province du Kwango.

Le Vice-Premier ministre de l’Intérieur ne s’est pas arrêté là. Il a également délibérément violé les prescrits de la Loi n°17/013 du 24 décembre 2017 modifiant et complétant la Loi n°06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales telle que modifiée à ce jour. En effet, d’après l’alinéa 1er de l’article 160 de cette Loi, le Gouvernement provincial est réputé démissionnaire, en cas de démission du Gouverneur de Province. En pareil cas, l’alinéa 4 de cette même disposition prévoit que : « Un nouveau scrutin est organisé par la Commission électorale nationale indépendante dans les trente jours de la notification du Ministre ayant les affaires intérieures dans ses attributions ».

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Méthodes cavalières

Or, depuis la démission volontaire de Monsieur Peti-Peti intervenue le 26 juin 2020, le Vice-Premier Ministre Kankonde n’a jamais officiellement notifié la CENI de cette démission, pour que cette dernière organisât l’élection du nouveau Gouverneur et Vice-Gouverneur. Mais étonnamment, le Ministre ayant les affaires intérieures dans ses attributions s’est volontairement abstenu de saisir la CENI préférant, quatre mois après, imposer le retour du Gouverneur démissionnaire, ce par un message du style télégraphique.

Toutes ces violations de notre Loi Fondamentale et de ses lois subséquentes énervent et créent une désorganisation dans la bonne administration de la Province du Kwango, en particulier, et d’autres Provinces qui sont également victimes des décisions arbitraires du VPM en charge de l’Intérieur, Sécurité et Affaires Coutumières.

La Province du Kwango devant le Conseil d’Etat

C’est pour toutes ces raisons que la Province du Kwango, par l’entremise d’un de ses fils, n’a pas voulu se laisser faire et a estimé nécessaire de saisir la justice pour faire valoir les droits des Kwangolais à une bonne administration de leur Province.

Les manières cavalières du VPM Kankonde irritent au-delà du Kwango, et les députés provinciaux de l’Ituri sont allés jusqu’à exiger sa démission pure et simple, après sa malheureuse idée de suspendre pour deux ans l’interpellation par motion de défiance des gouverneurs de provinces par les Assemblées provinciales. Les élus de la Province de l’Ituri l’ont réclamé le 04 janvier 2021, alors que la République se souvenait des martyrs de l’indépendance de notre cher pays.

Toutes ces actions – saisine des juridictions et/ou manifestations politiques – visant à contester les agissements arbitraires du VPM de l’Intérieur, Sécurité et Affaires Coutumières sont à encourager en vue du règne définitif de l’Etat de droit, tant prôné et défendu par le Président de la République, Chef d’Etat, son Excellence Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo.

Joséphine Mwaka