Il vient du Maniema, plus précisément du territoire de Kasongo, de la Chefferie Mamba Kasenga, village Bwamahali. Ce jeune artiste-musicien, Imidi Aruma Kosimba est arrivé à Kinshasa avec une détermination nouée par l’ambition de renverser la tendance musicale dans la capitale. Dans sa valise, une musique traditionnelle hors du commun, issue d’un folklore emballant toutes les provinces du pays.
Renverser la tendance musicale
De Bwamahila à Kinshasa, le chanteur veut bouleverser les données avec un album de cinq chansons en préparation au studio à Limete /Funa, grâce à la complicité d’un nom bien connu dans le milieu musical congolais, nous citons Rami Amisi.
Nous l’avons surpris en studio et lui avons tiré les vers du nez :
Qui êtes-vous et d’où venez-vous ?
Je suis Imidi Aruma Kosimba, chanteur traditionnel. Je viens du territoire de Kasongo dans la province du Maniema, où je suis né le 2 janvier 1977. Je suis marié à Mariamo et père de 4 enfants dont 2 garçons : Aruma et Idrisa et 2 filles : Mwamvua et Amina.
Comment êtes-vous arrivé dans la musique ?
J’ai fait mes premiers pas dans la musique à Bwamahali, mon village natal situé dans le groupement Yenga-yenga, chefferie Mamba Kasenga. Mon père était ami de chanteurs de notre contrée et ceux des environs. Tous venaient auprès de lui pour chanter. Il était un homme de référence. Tous les chanteurs que mon père accueillait chez nous chantaient en ma présence alors que j’étais encore tout petit. Et toutes les chansons étaient mémorisées par ma mère qui les fredonnait lorsqu’elle effectuait ses travaux de ménage.
J’ai pris l’initiative d’apprendre la guitare traditionnelle, le banjo, qui n’avait que trois cordes. Cette grâce divine m’a donné de l’estime auprès de mon père qui m’invitait chaque soir à ses côté pour jouer ma petite guitare à cordes pincées et ça lui procurait de la joie. En tant qu’ami de musiciens, il fut mon premier coach.
Ayant constaté que la guitare a pris la part entière de ma vie, mon père m’a interdit de continuer. Etant un don de Dieu, il ne pouvait plus arrêter mon élan, j’ai continué mon chemin.
Uniquement avec votre banjo ?
Au fil du temps, j’ai commencé à suivre les notes de guitares des chansons de la musique moderne diffusées à la radio, telles que « Roger Mila » de Pépé Kallé et « Bolingi bobomela ngai libala », pour ne citer que celles-là.
Grace à mon banjo, j’ai fut mes premiers pas dans un orchestre…
Quand mes frères aînés ont créé leur propre groupe musical, ils jouaient uniquement des instruments traditionnels, ils ne savaient pas manier la guitare et, malgré mon jeune âge, ils m’ont incorporé dans l’équipe. Pendant que je jouais du banjo, j’apprenais aussi à chanter et quelques mois après, j’ai commencé à les accompagner au chant, surtout dans les refrains.
Et après ?
Epaté par ma voix, l’un de mes aînés qui était féticheur me retira du groupe pour que je sois à ses côtés pour chanter lors de ses séances. Lui aussi avait ses instruments traditionnels. Mon étoile brillait et un autre orchestre folklorique basé à Niyumbo Yemurembo me sollicita et m’intégra en son sein, à cause de ma voix.
… A cause de ma voix, j’ai intégré Kabubu qui a fait de moi un chateur…
Dans ce groupe, j’étais devenu la coqueluche de la contrée. Lorsque je montais sur scène pour chanter, c’est tout le monde qui s’approchait pour me regarder. A cette époque, le « Kabubu » était au top et personne ne voulait manquer ce spectacle.
C’est quoi le Kabubu ?
C’est la lutte traditionnelle. Cette discipline sportive attirait un grand monde et avait aussi un groupe d’animation qui finira par me solliciter à cause de ma voix. J’ai intégré le groupe qui était composé de vieux papas bourrés d’expérience, dont Jamali qui était de ma génération et les deux autres, Kahambo et Kashaba qui étaient de l’ancienne génération, étaient déjà fatigués.
Les trois m’ont parfaitement encadré au niveau du chant. Ils m’ont montré comment chanter, comment faire le chœur, comment répondre et comment nuancer vocalement une mélodie.
Bref, ce sont mes formateurs, surtout les deux derniers, ils m’ont transmis leur savoir musical.
Cela étant, nous avons formé une équipe très solide avec Jamali, Mopero, Jambelanga, paix à son âme, Luambo, Kalufa et Djonico, tous étaient mes aînés. C’est dans ce groupe que reposait la tradition de chez nous. On racontait par le chant, les histoires et événements du passé. Ils m’orientaient dans le temps : si tu veux réconcilier les gens en dispute ou en conflit, il faut chanter telle chanson dont le contenu est une histoire de réconciliation.
Même dans une famille dont ses membres sont en mésentente. Bref, ils m’ont montré les différents chants historiques de résolution de problèmes et de réconciliation. Ce sont eux qui ont fait de moi un chanteur.
Pensez-vous à la nouvelle technologie qui bouscule le monde musical ?
J’ai décidé de prendre le taureau par les cornes en basculant vers cette nouvelle technologie. Les décideurs culturels m’ont pris du village pour Kindu afin de faire le studio.
« Amisi Sadiki découvert », fruit de Bi Aridja a fait de moi la coqueluche de la contrée…
Sur place, les hommes doutaient de moi, en me traitant de traditionnel, parce que je suis du village. Mais une femme, Bi Aridja, s’est opposée à eux à cause de ma voix. Elle m’a fait entrer dans un petit studio où j’ai réalisé la chanson « Amisi Sadiki découvert ». Dans celle-ci, je dis : « chaque chose en son temps ». Richesse et pauvreté viennent de Dieu, tout comme le savoir et l’argent. La chanson a fait le tour de la province et elle a fait de moi la coqueluche de la contrée.
Aujourd’hui, de Maniema à Kinshasa, je suis tombé entre les mains de grands qui m’ont conduit dans un studio professionnel où je viens de rencontrer des grands de la culture : artistes musiciens, ingénieurs de son, techniciens, journalistes … Au village, j’étais encadré par des vieux et la même chance me conduit encore dans la capitale auprès de vieux. Tout cela est une grâce de Dieu et j’irai toujours de l’avant.
Qui vous a amené à Kinshasa ?
C’est le respectueux Rami Amisi qui m’a fait quitter la province pour la capitale. Il a décidé d’investir en moi, avec son intelligence, son savoir-faire et son argent.
Les jeunes préfèrent la musique moderne, mais Kosimba aime rester dans la traditionnelle. Pourquoi ?
Premièrement, mes parents m’ont dit de ne pas oublier la tradition ancestrale, en aucun cas. Lors de la naissance, on ne portait pas les habits, on nous emballait dans les feuilles de la forêt et notre cordon ombilical était coupé par le couteau ancestral et non par des bistouris médicaux modernes. C’est un milieu où nos ancêtres sont nés, grandis et passaient toute leur vie. On mange bio et on reste très fort, en bonne santé.
Deuxièmement, ayant compris que notre coutume est bonne et meilleure, je me suis mis entièrement à sa disposition. Depuis mon début, je n’ai pas encore rencontré un artiste de la musique moderne, je suis resté dans la baie traditionnelle auprès de tous ceux qui venaient chez mon père. Je suis là et c’est cette musique qui me convient, elle fait ma fierté, je l’aime. C’est une conviction, un destin pour moi.
Kosimba au studio, pour combien de chansons ?
J’ai écrit cinq chansons dont deux sont terminées. « Kilimutende » est le premier titre enregistré, il est suivi de « Batoto ya Mamba Kasenga ».
Que pouvons-nous retenir de leur contenu ?
« Kilimutende » signifie quelque chose de grand qui fait étonner toute personne. Les choses que faisaient nos ancêtres pour conserver la tradition sont aujourd’hui négligées et abandonnées. Nos pères s’organisaient pour attribuer des responsabilités à ceux qui les méritent. Ils savaient dans la famille, celui qui sait parler, qui sait donner la discipline, qui est chasseur et qui sait faire le partage et celui qui sait faire des courses.
Aujourd’hui, cela n’existe plus. C’est pourquoi, je tire la sonnette d’alarme pour leur dire de regarder derrière pour revenir dans la coutume, notre patrimoine ancestral.
Quant au 2ème titre, « Ndambo lomina Mumbindabwa ndonga » est un arbre dont les feuilles sont difficiles à obtenir à cause de sa hauteur et sa circonférence. Je m’adresse à la communauté tout entière, même si vous faites des hautes études et détenez des grands diplômes, chacun a sa coutume. Chez nous, on ne matait pas, ni injurier ou critiquer. S’il y a un problème, on se réunissait pour trouver la solution. Aujourd’hui, on se comporte mal, si l’un de nous a un problème, on se moque de lui. C’est pourquoi, je lance un appel à tout un chacun de revenir dans le bon sens.
Avez-vous un projet, le quel ?
Je veux que ma musique soit internationalisée à l’instar de celle dite moderne. Qu’elle aille de conquête en conquête. Chanter en français, en anglais et en lingala ne doit pas être considéré comme meilleur, non. Je veux que ma langue, celle de ma tribu soit aussi reconnue à travers la chanson.
Vous chantez en quelle langue ?
Je chante en « Kini Kasenga », une langue d’origine de la province du Maniema.
Mzee Rami Amisi est mon grand producteur et j’ai confiance… malgré mon talent, je dois suivre ses conseils…
Pour aller de l’avant, il faut avoir un soutien. Avez-vous un manager, un producteur ou un promoteur ?
Pour le moment, je suis sous la bénédiction de Mzee Rami Amisi, fils de Kibindwa, de Maniema, de Kasongo, de Kasenga Engaenga. Il est mon grand producteur, car la décision qu’il a prise, le programme qu’il a établi, les procédures qu’il a opté, la valeur qu’il donne à mes chansons et l’initiative de me faire rencontrer les connaisseurs de ce domaine m’ont rassuré. Je lance aussi un appel aux autres de se joindre à lui afin de créer un bloc autour de moi.
Pourquoi Rami Amisi vous a choisi parmi tant d’autres artistes traditionnels du terroir ?
Chez nous, il y a un adage qui dit : « la beauté se vend elle-même ». C’est par la qualité potable de ma musique que Mzee Rami Amisi a porté son choix sur moi pour me propulser. Malgré mon talent, je dois suivre ses conseils, sinon il peut aussi me lâcher.
Parce que vous êtes attaché à la tradition, vous avez quitté la province pour la capitale avec l’idée de rentrer au village ?
Non ! C’est ici, dans la capitale, où tout se joue et j’y reste. J’irai pour des recherches et jouer devant mes frères et sœurs. C’est mon premier public qui a vu comment j’ai commencé.
En Afrique, on a toujours dit que le fétiche est un allié de taille de la musique, Kosimba ne touchera-t-il pas au grigri ?
J’ai une belle voix, je chante bien, je sais composer des chansons et que sera alors la place des fétiches dans ma musique que j’ai débuté très jeune sans penser à y toucher. Mon fétiche sera les conseils que je recevrai auprès des chevronnés de cet art d’Orphée et des moyens qui seront mis à ma disposition pour soutenir ma musique.
Un message particulier pour conclure ?
Le premier message est de louer l’Eternel Dieu qui m’a donné ce don et l’occasion de rencontrer les personnes douées dans le domaine. Le second est de remercier Mzee Rami Amisi pour son choix porté sur ma personne et de me faire rencontrer de grandes personnalités du monde musical, comme vous.
Un dernier message, la musique est comparable à l’air qui se déplace et à la lumière du jour qui atteint tout le monde. Je n’ai pas de choix de tribu, de langue ou de couleur, je suis ouvert à toute personne voulant me porter un bon conseil, m’assister financièrement et matériellement à ne pas hésiter car, aucun homme ne peut prétendre avoir et connaitre tout. Lire aussi : Kool Matope en studio à Paris pour un nouvel opus – Infocongo
Propos recueillis par Gel Boumbe