60 ans d’indépendance du Congo, 60 ans de gâchis d’une classe politique irresponsable

Alors que le pays commémore aujourd’hui le soixantième anniversaire de son accession à l’indépendance, le docteur Emmanuel Limbole Bakilo jette un regard rétrospectif et très critique sur le rôle joué par la classe politique congolaise, à travers cette tribune que la rédaction d’infocongo.net vous propose

Dr Emmanuel Limbole Bakito

Après avoir connu successivement les règnes des souverains Belges Léopold II, Albert 1er, Léopold III et Baudouin 1er, le Congo Belge accédait, le 30 juin 1960, à son indépendance, qui lui conférait ainsi une souveraineté nationale et internationale.

Durant toute la période coloniale, le Congo Belge avait une économie prospère, avec un taux de croissance annuel de 14% au cours de la dernière décennie de la colonisation. Le flux financier entre la métropole et la colonie se faisait dans le sens Léopoldville (Kinshasa) – Bruxelles. Il s’agissait malheureusement d’une économie d’exploitation, fragile par essence, basée sur l’exportation des produits bruts, en l’absence d’une volonté de transformation locale.

Deux tables rondes…

Dans le cadre des préparatifs du transfert de souveraineté entre la Belgique et son ancienne colonie, deux grandes rencontres, appelées « tables rondes », se sont tenues successivement en janvier-février et en avril-mai 1960.

La première, consacrée aux questions politiques, a connu la participation de toutes les grandes figures politiques du pays. Comme cela s’observe jusqu’à ce jour, les rencontres politiques intéressent au plus haut point les acteurs politiques, en raison de la perspective de partage du pouvoir qui s’est toujours profilée dans ce type de rencontres.

La deuxième table ronde, appelée table ronde économique, était consacrée aux questions économiques et avait pour vocation de préparer la passation du pouvoir économique et financier entre les deux pays.

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Contrairement à la table ronde politique, la table ronde économique n’a pas connu l’engouement des personnalités politiques, préoccupées par l’organisation des élections générales prévues pour le mois de mai 1960 ; la partie congolaise n’a été représentée que par quatre leaders des partis politiques ainsi que par des délégués pour la plupart de second rang, auxquels s’étaient joints quelques étudiants congolais évoluant en Belgique ainsi que ceux venus de l’Université Lovanium, appelés pour prêter main forte à la délégation congolaise, alors qu’ils n’en étaient encore qu’au début de leurs études.

Des étudiants et des hommes de second rang pour parler Economie

Dans la délégation congolaise, on peut citer Monsieur Joseph Désiré Mobutu comme délégué du MNC-Lumumba, Messieurs Mario Cardoso, Albert Ndele et Jean Nsele parmi les étudiants, les deux derniers devenus plus tard des dirigeants de la banque centrale du Congo. De l’avis des participants congolais, il s’agissait d’une négociation fortement biaisée, à armes inégales, comme l’indique ci-dessous un témoignage de Monsieur Jean Nsele :

« En réalité, c’était une négociation absolument inégale. Il y avait d’un côté une équipe structurée, avec comme président de la conférence le ministre Raymond Scheyven, qui connaissait par cœur ses dossiers. Nous recevions tous les jours une documentation volumineuse sur ce que nous devions discuter le lendemain. Nous passions des nuits entières à essayer de lire, à essayer de faire la synthèse des documents, avec, heureusement, l’aide de quelques Belges qui voulaient contribuer à l’émancipation du pays. Ils essayaient de nous aider à faire face autant que possible à l’équipe musclée en face de nous.

Mais, disons-le, nous n’avions aucune possibilité de faire entendre raison à la délégation belge. D’autre part, nous n’étions que des mandataires des responsables politiques. Mais les politiciens, à cette époque-là, en avril 1960, ils s’étaient éparpillés dans le pays pour leur campagne électorale. Il était difficile de les joindre depuis Bruxelles. Nous étions donc coupés de ceux qui nous avaient mandatés. »

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Table ronde économique: perte sèche!

Résultat : après avoir « tout gagné » à la table ronde politique, le Congo a tout perdu à la table ronde économique. Il a perdu tout le portefeuille de l’État colonial ainsi que tous les « leviers de commande » sur son économie. Ce sera le point de départ de la fragilité de l’économie congolaise.

A l’accession du pays à l’indépendance, les conflits entre acteurs politiques prennent le dessus sur les intérêts de la Nation. L’occident en profite pour imposer sa vision prédatrice sur le Congo. L’économie basée sur l’exploitation et l’exportation des matières premières brutes va se poursuivre et se pérenniser jusqu’à ce jour, sans qu’aucune vision d’implantation d’une véritable économie de transformation des matières premières se concrétise, pas plus que celle d’une économie diversifiée.

Voilà qu’à la veille du 60e anniversaire de cette indépendance chèrement acquise, la classe politique, plutôt que de se consacrer à des réflexions profondes sur le sort actuel et à venir du pays en tirant les leçons de notre histoire politique, nous ramène au même scenario de la veille de l’indépendance en 1960, qui avait plongé le pays dans le chaos.

Dr Emmanuel LIMBOLE BAKILO