Joel Kiana Basila

Joel Kyana Basila est formel : Kinshasa fait peur, Kinshasa est malade. Il préconise donc la convocation par le président de la République, des états généraux des villes congolaises pour avoir des villes type en RDC.

Cet expert en urbanisme et assistant à l’Institut Supérieur de l’Urbaniste de Kinshasa estime qu’une convocation des états généraux serait la bienvenue pour passer en revue toutes les questions en rapport avec ce secteur de la vie de milliers de congolais.

Selon lui, les deux arrêtés du Gouverneur de la ville province de Kinshasa, Gentiny Ngobila, du 02 août 2019 portant création d’une Banque de l’Habitat, pour accorder des crédits aux tiers pour la construction de maisons, mais aussi des logements sociaux, afin de réduire le coût des loyers ; et celui interdisant tout nouveau lotissement souffrent de certaines irrégularités.  Joël kyana  Basila est le vice-président de la corporation des urbanistes du Congo.

Interview…

Que pensez-vous de l’idée de création d’une banque d’Habitat par le gouverneur Gentiny Ngobila ?

Il faut être optimiste. Nous sommes  des congolais en général  et des kinois  en particuliers.  Et le seul  héritage  que  nous avons, c’est  la terre et particulièrement la ville de Kinshasa, capitale de la RD Congo, qui représente aujourd’hui le miroir de notre pays. Du moins, nous devons être réalistes au regard  de ce qui se passe à travers la ville de Kinshasa dans le domaine de l’Urbanisme, ainsi dans son organisation spatiale reste sans doute de l’improvisation.

Nous ne devons ignorer que la ville de Kinshasa est actuellement dotée d’un Plan d’Urbanisme Directeur qu’on appelle SOSAK (Schéma d’Orientation Stratégique de l’Agglomération Kinoise). Ce dernier dispose d’un pouvoir, car il a été voté à l’Assemblée Provinciale, il dispose donc d’une force de Loi. Mais, ce plan jusqu’à l’heure souffre  de son effectivité, de sa mise en application, sinon de sa mise en œuvre.

Nous sommes surpris de pouvoir constater que le nouveau Gouverneur initie une banque d’Habitat qui est une bonne initiative telle que c’est le cas sous d’autres cieux, pour résoudre le problème de logement. La question fondamentale que l’on doit se poser  est-ce qu’il y a eu un recensement de la population ? Quel est le besoin qu’a la ville de Kinshasa pour loger décemment la population ? Parce que quand on est dans une ville, on doit être bien logé, on doit bien travailler, bien circuler, bien se divertir.

La banque de l’Habitat est créée pour octroyer des crédits aux tiers pour la construction des logements sociaux, ce qui n’est pas une mauvaise chose en soit ?

Oui, c’est bien. Mais la question serait de savoir ou ces logements sociaux seront construits ? Car en cette matière il y a des préalables. Lorsqu’un Plan d’urbanisme est voté, il devient une force. C’est sur ce plan que tout est prévu pour l’organisation rationnelle et durable de l’espace, c’est-à-dire les espaces sont affectés pour des activités bien définies.

Aujourd’hui, si ces crédits sont octroyés à la population où va-t-elle  construire ? Et sur base de quelles normes, car l’autorité ne veut pas faire respecter le plan d’urbanisme dont la ville dispose. La ville est le symbole du pouvoir,  la ville on ne l’improvise pas, on pense la ville, on réfléchit la ville.  On dessine la ville sur un papier et après on dit : voilà ce que sera la ville de Kinshasa à l’horizon 2030-2050 par exemple. Ce qui n’est pas le cas pour Kinshasa.

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La ville de Kinshasa connait des problèmes très sérieux dans son organisation spatiale. Kinshasa est malade, Kinshasa est une ville pathologique.

La ville est comparable à un être humain, ce dernier part  à l’hôpital quand il est malade. Et c’est le cas aujourd’hui pour la ville, et aujourd’hui la ville dispose de ses médecins qui sont les urbaniste, ces derniers sont appelés à organiser de façon rationnelle et durable la ville.  

Et de l’interdiction de tout lotissement ?

Nous saluons cette décision en tant qu’urbaniste expert de la ville. Les décisions sont bonnes mais c’est l’applicabilité qui pose problème.  Il fallait aller plus loin en interdisant aussi tout  morcellement des parcelles, surtout dans les anciennes communes planifiées (Lingwala, Kinshasa, Barumbu, Kalamu,…). Le phénomène de morcellement des parcelles à Kinshasa  est dû à beaucoup de causes, je citerai au passage la pression démographique, l’exode rural, le non contrôle de l’évolution du tissu urbain.

Ce phénomène de morcellement a des répercussions néfastes même sur la capacité initialement prévue par  la REGIDESO ou la SNEL à desservir un quartier par exemple, car ce phénomène est à la base de la déconfguration du tissu urbain, les parcelles perdent leurs dimensions initialement prévues,  voire même à la disparition du patrimoine historique de nos anciennes cités.     

C’est pourquoi nous suggérons à l’autorité, au lieu d’interdire simplement  tout lotissement, il fallait aussi interdire le morcellement des parcelles, que ce dernier soit la compétence exclusive de l’Etat.

L’une des solutions pour mettre fin à ce phénomène, nous suggérons que l’Etat soit le premier acheteur des parcelles privées. Si une personne veut vendre sa parcelle, c’est à l’Etat qui doit être le premier client à travers cette Banque de l’Habitat, L’Etat va acheter ces parcelles pour qu’à son tour, initier des projets immobiliers (construire des logements) avec ses partenaires étrangers et locaux.

Vous voulez dire que le gouverneur devrait associer les urbanistes ?

En tout cas, le gouverneur devrait associer les urbanistes qui ne sont pas des politiciens, ni des décideurs, mais ils accompagnent les décideurs en leur donnant leurs avis techniques en matière d’urbanisme, ces avis techniques facilitent la décision de l’autorité.

Nous voulons bien avoir un Gouverneur politicien, mais à ses côtés, qui sont ses conseillers en matière d’urbanisme ? Le secteur de l’urbanisme est un secteur clé du développement. Nous pouvons avoir autant de minerais mais, si la ville n’est pas organisée de façon rationnelle et durable, eh bien, nous aurons des villes malades, des villes où il ne fera pas beau vivre, comme c’est le cas avec Kinshasa.

Un exemple : quand vous arrivez à la tombée de la nuit à la place échangeur de Limete, vous avez peur. A la gare centrale, à Matadi-Kibala, pour ne citer que trois endroits, ce sont des trous noirs, des endroits qui font peur, or la ville attire.

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Kinshasa fait peur. Vous êtes au rond-point Ngaba à 20 h, vous avez peur car on peut vous braquer, la sécurité urbaine n’est pas prise en compte dans l’organisation spatiale de Kinshasa. Or il fait beau vivre en ville. C’est pourquoi il y a eu exode rural, les gens quittaient le monde rural pour le monde urbain parce que la ville attirait les gens. Kinshasa n’attire plus.

Vue de Kinshasa, Boulevard du 30 juin, commune de la Gombe

Qu’est ce qu’il faut, Urbanistiquement parlant ?

Les villes congolaises ont hérité d’un modèle colonial, où il y avait la ville blanche et la ville noire. Aujourd’hui, nous suggérons d’avoir des villes avec un modèle congolais, bien entendu avec particularité de chaque ville/province. 59 ans après l’indépendance, on ne doit pas garder ce modèle où vous avez Kalina (Gombe), et où tout le monde quitte le lieu d’habitation pour aller vers la Gombe (centre-ville) et par après retourner au lieu d’habitation (maison). Ça s’appelle : migration pendulaire.  

Et la conséquence, le centre-ville la nuit reste quasiment vide, et ce qui occasionne également des embouteillages. C’est pourquoi dans l’organisation des villes congolaises, particulièrement la ville de Kinshasa, il faut à tout prix associer des urbanistes.

La ville est pluridisciplinaire. Je ne dirai pas que seul l’urbaniste peut décider  sur la ville, mais il en est le chef d’orchestre en ce qui concerne la gestion quotidienne de la ville. C’est pourquoi moi je suggère les états généraux des villes congolaises, que les autorités puissent se réunir pour réfléchir sur le problème des villes congolaises. Que les décisions en matière d’Urbanisme puissent se prendre au plus haut niveau de l’État. Le secteur de l’Urbanisme doit être rattaché au plus haut niveau, c’est-à-dire la Présidence de la République.

Mais le chef de l’Etat a un conseiller en cette matière ?

Nous avons vu dans la composition de son cabinet qu’il a un conseiller en matière de l’urbanisme que nous ne connaissons ni le nom, ni le profil. C’est l’autorité qui décide sur la ville. C’est lui qui donne la vision  de sa ville, qui se matérialise à travers un document qu’on appel Plan d’urbanisme, bien entendu avec la participation des urbanistes pour sa mise en œuvre. Aujourd’hui l’urbanisme a atteint un niveau sanitaire car l’urbaniste est appelé à concevoir la ville de sorte que les gens ne tombent pas malades.

Pendant que les Etats généraux se tiendront, il faudrait arrêter tout lotissement, comme c’est le cas avec la décision du gouverneur Gentiny Ngobila. La conservation du patrimoine historique est en train de disparaître. Lingwala de 1970 n’est plus Lingwala d’aujourd’hui, or nous avons besoin d’une histoire, car un peuple sans histoire est un peuple sans âme. Kinshasa n’a plus d’âme. Une personne qui a quitté Kinshasa en 1989, vous l’amenez à la place Royale, il oublie. Kinshasa doit avoir des repères. Quelqu’un qui a quitté Kinshasa en 1950 peut avoir comme référence le rond-point Forescom par exemple, un bâtiment a une valeur historique considérable, que l’on doit bien conserver au lieu de le démolir. En Europe par exemple, on retrouve des bâtiments de plus d’un siècle, comme en Egypte, au Caire par exemple. A Paris, l’on a l’ancien Paris et le nouveau Paris. On a gardé l’ancien Paris pour des faits historiques, pour la progéniture et les touristes.

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Conséquences d’une mauvaise urbanisation de la ville de Kinshasa

Comment expliquez-vous ce boom immobilier à Kinshasa ?

C’est dû à plusieurs facteurs, dont le besoin de logement, l’exode rural, etc. Cependant, sous d’autres cieux, les particuliers ne construisent pas. Que vous soyez un milliardaire ou pas. Il y a des zones où l’on a laissé aux particuliers la liberté de construire, mais avec des prescriptions urbanistiques appropriées, et à respecter. L’Etat donne le modèle à suivre, ce qui n’est pas le cas à Kinshasa où l’on souffre même par le regard simple du profil urbain où l’on voit les bâtiments à hauteur à côté des bâtiments à rez-de-chaussée et cela fait mal aux yeux, on perd même de l’esthétique urbaine.

On voit même des constructions aux abords du fleuve ?

Construire au bord des cours d’eau n’est pas une mauvaise chose, mais il faut respecter les normes. Aujourd’hui, nous avons des villes flottantes à Dubaï par exemple, Dubaï a été bien conçu, bien réfléchi et bien pensé.

Ce qui n’est pas le cas pour nos ville, aujourd’hui qui construit aux bords des cours d’eau, ce sont des pauvres, et quand il pleut, tout est englouti et vous entendez : « mokonzi yaka kotalela biso makambo oyo ! » (Que l’autorité nous vienne en aide)

Ces exigences, on les trouve dans un plan d’urbanisme local ou général, c’est ça le soubassement d’une ville. Que vous soyez millionnaire, milliardaire, vous voulez construire, allez à la commune, à l’hôtel de ville.

Prenons l’exemple du quartier Beau vent qui était un terrain où devrait être érigé l’Institut Supérieur de l’Information et de la Communication, IFASIC. Cet  axe là a été affecté pour les équipements publics. Je dis gloire à Dieu pour le terrain Tembe na Tembe qui a été démoli.

Il y avait un phénomène derrière l’école médicale, où les gens avaient construit anarchiquement et l’Amiral Liwanga, l’ancien gouverneur avait tout démoli et il y avait des morts par crise cardiaque suite à cette démolition. Mais ça valait la peine, parce que dans cet axe qui est axe du pouvoir, l’axe des grands équipements où vous avez le PNMLS, le Musée national, le Bâtiment administratif de l’État, le Palais du Peuple, le Quartier général de la police, la RTNC. C’est l’axe des grands ensembles où l’on ne doit pas trouver des maisonnettes.

Aujourd’hui, on a un concept de construction anarchique, mais il y a lieu d’affirmer ici que dans un espace administré, il n’y a pas d’anarchie. Ces constructions que nous appelons anarchiques ne les sont pas en réalité car les documents sont délivrés en bonne et due forme par l’autorité urbaine. La victime de la démolition a souvent un document lui octroyé par l’Etat, et dès lors que c’est l’Etat qui autorise l’individu à construire ce n’est plus de l’anarchie. Donc, ces constructions ne sont pas anarchiques parce que nous à Kinshasa on est dans un espace administré, il y a l’Etat, le pouvoir et là où il y a de l’autorité, il n’y a plus d’anarchie.

On doit aussi commencer à arrêter toutes les autorités qui octroient ces documents pour construire.

Que dire en tout ?

Nous lançons un appel aux autorités pour dire que les urbanistes existent, il y a une corporation des urbanistes qui est opérationnelle. Nous sommes l’œil de l’Etat, l’auxiliaire de l’Etat et plus loin, nous avons le ministère de l’Urbanisme, un ministère technique, un ministère clé du développement de la RDC.

On n’a que cet héritage qui est la terre congolaise. Nous saluons les actions du chef de l’Etat à travers la construction des sauts-de-mouton, en réhabilitant certains tronçons, mais ça ne suffit pas. Il faut qu’il y ait les états généraux des villes congolaises. Nous devons réfléchir sur la construction de nos propres villes à l’horizon 2025 -2050, même si ça ne sera plus le même président de la république, mais il doit doter le pays d’un modèle type propre de ville.

Propos recueillis par Jacques Kalokola