Mgr Sosthène Iyakuli : «le projet de balkanisation de la RDC est toujours d’actualité»

Dans un entretien exclusif accordé à votre rédaction, Monseigneur Sosthène Iyakuli Udjuwa Evêque du diocèse de Mahagi Nioka, situé dans la province ecclésiastique de Kisangani, Province administrative de l’Ituri, reste convaincu que le projet de balkanisation de la RDC est toujours d’actualité.

Mahagi se trouve dans la région qui longe le Soudan du Sud et l’Ouganda. Dans l’interview qu’il nous a accordée, l’évêque donne sans ambages sa version des faits dans les tueries perpétrées en Ituri et tout particulièrement dans le territoire de Djugu.       

Infocongo : Comment expliquez-vous ces massacres en Ituri et plus particulièrement à Djugu ?

MGR Sosthène Iyakuli : L’Ituri traverse une période difficile pour le moment, un problème d’insécurité. On se rappelle que l’année dernière vers les mois de février et mars, une situation analogique a mis des milliers de  populations sur la route, beaucoup de déplacés et des familles entières. Et vers le mois de juin, on a cru que la situation allait se stabiliser, sans penser qu’elle allait encore se dégrader. Mais vers le mois d’octobre, on a commencé à assister à un phénomène un peu étrange, des attaques systématiques dirigées contre les forces de la police, des militaires, au point qu’il y a des zones entières, des collectivités entières où on ne trouvait plus des militaires, et on se posait la question pourquoi ce genre de situation.

C’était finalement une attaque contre l’Etat. On se rendait seulement  compte que les petits camps des militaires se vidaient sans pour autant comprendre. Il y a un mois, on s’est aussi rendu compte qu’étant donné que la zone était totalement dégarnie, ces forces commençaient à s’attaquer à la population et tuer des paisibles citoyens, brûler les maisons avec des champs détruits et des villages entiers vidés de ses habitants, car il n’y avait plus d’armée pour les sécuriser. On a assisté à tous ces déplacements, et à toute cette misère, cette souffrance à laquelle ces gens sont confrontés en Ituri, surtout dans le territoire de Djugu et une partie de Mahagi.

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IC : Que disent les politiques ?

Un moment donné, comme on ne voyait pas un engagement de l’Etat alors que l’on considérait ces gens comme des rebelles, on n’avait pas des réponses adéquates en terme de pouvoir les attaquer, détruire leurs sanctuaires et il n’y avait pas des déclarations. Nous nous sentions abandonnés. Nous sommes restés ébahis et nous nous posions la question de savoir s’il n’y avait pas des complices, est ce qu’on est incapable de réagir ?

IC : Pourquoi seulement cette partie du Pays ?

Il y a quelques lectures qui peuvent nous aider à comprendre la situation. Ces tueries des civiles en masse dans leurs milieux naturels, cet abandon des territoires par les militaires ont une explication, car il faut savoir que ce littoral du lac Albert regorge un important gisement du pétrole. Il y possiblement là un projet d’exploitation du pétrole. J’ai comme l’impression qu’il y a la politique de pouvoir délocaliser les gens, afin qu’un moment donné ceux qui voudraient bien exploiter que ce soit le pétrole, soit d’autres minerais, parce qu’ils savent mieux que nous ce qu’il y a, ils pourront les exploiter librement et à cœur joie sans témoin, parce qu’ils ont mis les gens en débandade.

Et puis, il me semble aussi que le projet de balkanisation demeure toujours d’actualité. Il y a quelques faits qui viennent et reviennent. Un moment on vous dit que l’on a vaincu ce démon de la balkanisation parce que l’on a ceci ou cela mais, j’ai comme l’impression que ceci est toujours dans l’agenda des grands décideurs de ce monde. Pour y arriver, la vie humaine ne compte pas pour eux et c’est un peu cela le drame.

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IC : Comment vivez-vous tous ces drames comme Pasteur ?

C’est évidemment avec beaucoup de peine et de souffrance dans le cœur. On partage les souffrances de nos fidèles et on assiste parfois impuissants parce que brusquement les besoins naissent, besoin d’assistance et contrairement nous n’avons pas de moyens de pouvoir y répondre. Il y a aussi ce sentiment de révolte, de voir que l’on est abandonné. On ne peut pas comprendre que des groupes armés étrangers, des rebelles viennent tuer, égorger, violer, brûler, faire ce qu’ils ne peuvent pas faire chez eux, comme si tout leur a été permis. Ils restent et font ce qu’ils veulent. Où sommes-nous ? Est ce que nous existons comme Etat ?

C’est un problème fondamental. La question fondamentale est de savoir si nous existons comme Etat ? Nos groupes armés, nous pouvons les identifier et les gérer peut-être. Mais d’autres qui sont en fuite dans leurs pays d’origine viennent chez nous et restent autant d’années, font des enfants avec nos filles et vous ne pouvez pas réagir ? Mais non ! On nous parle toujours des assaillants, mais qui sont-ils ? Il faut les identifier, ils doivent avoir une dénomination bien précise.

IC : Pensez-vous qu’il y a des officiers congolais qui seraient derrière cette mascarade ?

Sans avoir des preuves palpables, je me pose souvent la question de savoir pourquoi on ne peut pas  démanteler un groupe d’assaillants depuis tout ce temps ? Au regard des minerais que regorgent cette partie du pays, il y a de quoi comprendre pourquoi nous avons des traîtres même dans l’armée.

IC : Croyez-vous qu’il y a  moyen de mettre fin à ce cycle meurtrier ?

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Oui, l’espoir nous permet de dire que la situation va s’arrêter un jour et on aura la paix. L’espérance nous permet de le dire mais pour combien de temps ? Quand est ce que les jours meilleurs se lèveront sur nous ? On ne saura jamais le dire parce que ça perdure. L’instabilité est là et quand nous voyons que tout est fini, ça rebondit. Tant que ces gens sont terrés là-bas, l’on ne peut pas les toucher, l’inquiétude plane toujours jusqu’à ce qu’on arrive à les démanteler, ou quand ils accepteront de déposer leurs armes blanches ou à feu. On peut espérer.

IC : Que faire ?

Il faut que l’Etat rétablisse son autorité sur l’étendue du pays, afin que nous qui sommes à l’intérieur que nous sentions que nous sommes aussi de ce pays, et que nous sommes protégés.

IC : Un mot à toute la population congolaise à la veille du 59è anniversaire de l’Indépendance du pays ?

Un message d’espérance pour que nous travaillions tous pour que cette espérance revienne. Nous tous comme peuple devons travailler pour que cette paix revienne. Nous sommes acteurs chacun à son niveau et si nous jetons la faute sur l’autre, le problème va demeurer. Il faudrait que chacun prenne ses responsabilités en main. Nous devons travailler pour la cohésion, pour un avenir meilleur et pour que l’avènement d’un Congo Fort et Prospère soit effectif.