L’après covid-19 : nécessité d’un nouveau paradigme de développement pour l’Afrique et la Rd Congo

Par Dr Emmanuel Limbole Bakilo

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Voici la Tribune du Dr Emmanuel Limbole Bakilo, Président  du Forum pour la Renaissance de la République

La pandémie de Covid-19 est une opportunité offerte aux Africains de prendre enfin conscience des erreurs dans la gouvernance de leurs Etats durant les six décennies de leurs indépendances.

La perception de la gouvernance politique en Afrique a cette spécificité que le secteur social est considéré comme un secteur de seconde zone, dépourvu de toute préséance, avec comme conséquence que les choix des priorités sont préférentiellement dirigés vers les secteurs politique, économique et financier, ces trois secteurs constituant ainsi le trépied de cette gouvernance qui est totalement déconnectée de la dimension sociale.

Pour leur accession à un mandat électif, les acteurs politiques se sentent contraints de s’appuyer sur le secteur social en promettant à leurs électeurs une amélioration de leurs conditions de vie. Cependant, une fois au pouvoir, ce secteur est rabattu au plus bas niveau de leurs priorités, avec des conséquences dont les premières victimes ne sont autres que leurs électeurs.

Analysons brièvement quelques aspects de la gestion, dans notre pays, de trois domaines ci-après, qui relèvent du secteur social :

1. La santé

En RD Congo, la santé n’a jamais constitué, en pratique, un domaine prioritaire du Gouvernement depuis 1960. Ceci se traduit par un sous- financement du secteur, entrainant notamment les conséquences ci-après :

– L’incapacité pour le pays à assurer la couverture vaccinale de ses propres enfants, plus de 80% d’activités vaccinales étant pris en charge par des partenaires extérieurs ;

– L’incapacité pour le pays à rendre opérationnels les différents plans nationaux de développement sanitaire ;

– Plus concrètement, l’incapacité pour le pays à améliorer la fonctionnalité des établissements des soins, principalement en termes d’équipements et de ressources humaines. A titre d’exemple, aucun établissement hospitalier public au pays ne répond au standard d’un hôpital de niveau international. L’hôpital du cinquantenaire qui a été construit avec cette ambition déclarée est, à ce jour, loin de remplir cette mission. Ainsi se trouvent réunies pour le pays les conditions d’une grande incapacité à faire face à une menace sanitaire du genre de celle que le pays et le monde entier connaissent aujourd’hui.

Tous les indicateurs sanitaires sont au rouge du fait du manque d’intérêt des dirigeants pour le développement du secteur de la santé : faible espérance de vie à la naissance, taux élevé de mortalité maternelle et infantile, taux élevé de malnutrition infantile, etc.

Aujourd’hui, la quasi-totalité de la population mondiale est confinée à domicile, du fait d’une pandémie. Ceci est une démonstration grandeur nature de cette réalité ignorée par beaucoup de décideurs politiques, qu’il n’y a pas de travail productif ni de bonheur sans une population en bonne santé et sans un système sanitaire de qualité.

2. L’éducation

Le secteur de l’éducation souffre de mêmes maux que celui de la santé dans notre pays comme dans bien d’autres pays africains. Le sous-financement par le trésor public est de règle, la plupart des programmes étant pris en charge par les partenaires extérieurs. Les indicateurs du secteur, comme ceux de la santé, sont également au rouge : faible taux de scolarité, infrastructures scolaires hors normes, absence chronique des universités du pays dans les différents classements des universités en Afrique et dans le monde, etc. La conséquence immédiate et à venir est le manque de ressources humaines de qualité à tous les échelons, entrainant ipso facto un déficit d’une main d’oeuvre qualifiée capable de maitriser l’évolution de la science et de la technologie. Cette carence d’une main d’oeuvre qualifiée est telle que le pays risquerait de faire recours à l’extérieur, y compris dans la catégorie des ouvriers.

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3. La recherche scientifique et technologique

Instrument de développement et d’affirmation de puissance de grandes nations du monde, ce secteur est le parent pauvre de tous les domaines ministériels en RD CONGO. Les centres de recherche du secteur public ne représentent que l’ombre d’eux-mêmes. Ils ne bénéficient guère de crédits budgétaires du Gouvernement et souffrent en permanence du faible taux d’exécution lorsque ceux-ci leur sont alloués. La carrière de chercheur n’est pas valorisée et n’est vraisemblablement pas connue ni du grand public, ni des milieux scolaires, ni même des milieux universitaires.

En définitive, le secteur social est considéré à tort, aux yeux des dirigeants politiques, comme un secteur inutilement budgétivore et sans intérêt immédiat, ni financier, ni politique. La conséquence directe pour le pays est, d’une part, la vulnérabilité sociale de la population et, d’autre part, une absence de percée scientifique, technologique et industrielle, faisant ainsi du pays un eternel Etat sous-développé.

Que faire ?

La RD Congo, comme toute l’Afrique Subsaharienne, a besoin d’une nouvelle vision du monde et d’une nouvelle perception de son développement ; et cette réflexion doit être portée au niveau de la pensée philosophique et stratégique. En voici énumérées quelques pistes :

1. Reconstruire notre identité nationale ;

2. Extirper de notre cerveau le complexe du perpétuel dominé ;

3. Valoriser nos ressources humaines et les mettre au service de la reconstruction de la nation ;

4. Nous doter d’une ambition forte de développement et de construction d’une puissance à la hauteur de nos potentialités naturelles.

1. Reconstruire notre identité nationale

Pour rappel, il existe dans le monde actuel, selon Samuel Huntington, célèbre professeur américain de science politique, huit civilisations que voici :

-la civilisation occidentale, constituée des Etats-Unis d’Amérique, de l’Europe occidentale, du Canada, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande ;

-la civilisation latino-américaine, constituée de l’Amérique latine ;

-la civilisation orthodoxe, constituée de l’Europe centrale et orientale ;

-la civilisation africaine, constituée de l’Afrique subsaharienne ;

-la civilisation islamique, constituée de l’Afrique du nord, du Moyen-Orient et de l’Asie centrale ;

-la civilisation hindouiste, constituée de l’Inde et du Népal ;

-la civilisation bouddhiste, constituée de la Birmanie, de la Thaïlande, de Laos, de Cambodge et de la Mongolie et enfin,

-la civilisation moyen-orientale, constituée de la Chine, du Vietnam et de la Corée.

Dans ces civilisations se trouvent des entités politiques organisées appelées Etats.

Il convient également de rappeler que les Etats et les civilisations sont comme des êtres vivants ; ils naissent, grandissent, vieillissent et meurent. Ils ne sont pas eternels. Leur durée de vie est fonction de plusieurs facteurs, notamment leur niveau d’organisation. C’est dans ce contexte qu’il est apparu, vers la fin du 20ème siècle, le concept de choc des civilisations, étant entendu que les civilisations sont en compétition permanente pour leur survie et la conquête de la suprématie. Les chercheurs renseignent que plusieurs causes ont expliqué la disparition des anciennes civilisations : changements climatiques, destruction de l’environnement, auto-sabotage, oligarchie, épidémies, etc.

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L’épidémie de covid-19, qui a vite évolué vers une pandémie, a tout l’air d’une répétition de l’histoire ; elle ne pourra pas se résorber sans laisser des traces. Elle jouerait au minimum le rôle d’une sonnette d’alarme, pour des cataclysmes à venir, à l’échelle des Etats ou des civilisations. Il y a donc risque de bouleversements plus ou moins importants au sein des civilisations et dans la hiérarchie des Etats. D’où l’interpellation des Africains, et spécialement ceux de l’Afrique subsaharienne.

Dans le même ordre d’idées, tous les Etats à travers le monde sont dans une lutte permanente pour leur survie ; ne dit-on pas qu’en diplomatie, il n’y a pas d’amitié, il n’y a que les intérêts qui comptent !

La RD Congo, pays d’Afrique centrale aux immenses ressources naturelles et à la position géostratégique, a vocation à devenir une puissance africaine et même mondiale. Elle est condamnée à devenir une puissance ou disparaitre. En tant que puissance, elle pourra mieux protéger et exploiter ses richesses et faire face aux convoitises extérieures qui sont inévitables.

Pour réussir ce pari, nous devons commencer par reconstruire notre identité nationale, réaffirmer notre appartenance à une nation forte vouée à un avenir meilleur. Il s’agit ici d’une prise de conscience collective de notre appartenance à une nation commune, de notre existence commune et de notre avenir commun. Cette prise de conscience doit être alimentée par des comportements et des actes des élites, dirigés vers un horizon nationaliste commun, susceptibles de créer un environnement où les antagonismes politiques fondés sur des intérêts égocentriques laisseraient la place à un dépassement de soi pour un objectif commun, l’édification d’une nation forte et prospère.

La reconstruction de notre identité passe aussi par l’adaptation des fondamentaux de notre organisation sociopolitique à nos spécificités culturelles, notamment en réinventant nos propres systèmes politiques, plutôt que de les calquer sur des modèles dont la substance est tirée des cultures des autres peuples. De même, la reconstruction de notre identité, c’est aussi la réécriture de notre histoire, ancienne et récente, en vue d’en tirer des leçons susceptibles d’éclairer notre présent et notre avenir.

2. Extirper de notre cerveau le complexe du perpétuel dominé

La compétition des peuples, des Etats ou des civilisations est avant tout psychologique, avant tous les autres aspects matériels. La concentration mentale conduit à la construction structurée de la pensée qui, à son tour, génère des actions. Celles-ci, lorsqu’elles sont produites dans le cadre de ce processus mental, ont l’avantage d’être cohérentes et efficaces, et leur réalisation se fait avec conviction. Un peuple qui n’exploite pas sa force mentale ou spirituelle ne peut pas se doter d’une force intérieure sous-tendant sa conviction intime de valoir autant que d’autres peuples ; il est constamment habité par un sentiment d’infériorité qui entretient le complexe du perpétuel dominé et le statut de l’eternel assisté. Cette situation est malheureusement, à notre humble avis, celle du peuple congolais aujourd’hui, et aussi celle de l’ensemble des peuples africains au sud du Sahara.

Nous devons donc commencer par nous décoloniser mentalement, en nous inspirant du combat des pères de notre indépendance.

Il s’agit du combat de l’auto- libération mentale, consistant à déloger de nos cerveaux le sentiment d’impuissance et, à l’inverse, d’y installer la confiance en nous-mêmes, la force de conviction et la rage de vaincre, dans un monde de grands défis et dans un environnement international compétitif.

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3. Valoriser nos ressources humaines et les mettre au service de la reconstruction de la nation

Le sentiment de fierté nationale devrait se traduire notamment par la mise en valeur de nos ressources humaines afin de les mettre au service de la nation.

La RD Congo fut une référence africaine en matière de formation scolaire et universitaire durant les trois premières décennies de son indépendance ; les ressortissants africains de différentes nationalités venaient se former dans les établissements universitaires du pays, dont la renommée avait franchi les frontières nationales. Faute d’avoir maintenu cet élan, le pays a aujourd’hui de la peine à se faire entendre à l’échelle africaine. Notre système éducatif n’a pu s’adapter ni à l’évolution de notre société, ni au progrès de la science et de la technologie à l’échelle internationale.

A cet effet, il nous revient de prendre conscience d’une évidence : il n’y a pas de développement sans une formation des ressources humaines de qualité. Les grandes nations d’aujourd’hui nous en donnent la parfaite illustration. Les meilleurs systèmes éducatifs, les meilleures universités ainsi que les meilleurs centres de recherche au monde ont engendré les meilleures économies, les meilleurs niveaux de vie ainsi que les plus grandes puissances du monde.

Ainsi donc, le nouveau paradigme de développement de notre pays devrait intégrer la nécessité d’investir dans l’homme en tant qu’une priorité de premier rang, ce qui implique une réorientation des allocations budgétaires et de bien d’autres ressources financières vers le secteur éducatif.

Par ailleurs, les centres de recherche devraient être au centre des projets de développement de l’Etat, avec des objectifs bien définis, dans le cadre de différents plans sectoriels ou globaux de développement du pays.

4. Nous doter d‘une ambition forte de développement et de construction d’une puissance a la hauteur de nos potentialités naturelles

La RD Congo est appelée à devenir une grande puissance ou disparaitre. Malheureusement, la plupart d’acteurs politiques, économiques ou sociaux n’ont pas encore intériorisé cette lourde charge de puissance qu’impose le statut naturel de ce pays aux multiples richesses, d’où ce comportement de gestion routinière permanente de l’Etat, d’année en année, avec des micro budgets, des micro projets, des microcrédits et des micro ambitions largement en deçà des exigences de ce sous-continent.

Pour rappel, le budget annuel moyen de notre pays se situe autour de 5 milliards de dollars US, pour un taux de croissance économique moyen de 4% et un taux de croissance de la population de 3%.

Il est évident qu’à ce rythme de fonctionnement de l’Etat, la misère et le sous-développement actuels ne pourront que s’enraciner et se cristalliser pour plusieurs générations encore.

Voilà pourquoi nous en appelons à un nouveau paradigme de développement pour notre pays, qui consisterait en une revalorisation de notre perception de celui-ci et de sa place dans le concert des nations ; en l’abandon de notre vision réductrice du Congo pour épouser une vision de grandeur ; en l’acquisition d’une ambition de puissance qui irait s’agrandir au jour le jour et d’année en année. Pour cela, il nous importe de recourir à notre génie créateur et, avec l’énergie mentale et l’engagement politique, nous arriverons à bâtir, au cœur de l’Afrique, une nation forte et prospère.

Dr Emmanuel LIMBOLE BAKILO

Président du Forum pour la renaissance de la République, FORREP(ASBL)