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Monseigneur Philippe Nkiere : « la pauvreté en Afrique n’est pas d’abord matérielle »

Dans un entretien avec la rédaction d’Infocongo.net, l’ancien Evêque du diocèse d’Inongo, Mgr Philippe Nkiere, peint un tableau très sombre de la situation socio-économique de son pays la RDC, en particulier, et de toute l’Afrique. Pour ce prélat, le manque de fraternité qui se justifie par l’idolâtrie de l’argent, du plaisir et autres avantages matériels. La solution est dans le concept qui l’a conduit à initier le mouvement Ekolo ya Bondeko : « To Bondeko, to liwa », soit « la fraternité ou la mort », mais c’est la fraternité qui triomphe toujours.

Dans un pays comme la RDC, où un groupe d’individus vit dans l’opulence et d’autres dans une misère noire, que peut dire votre slogan : « To bondeko, to liwa », soit ou la fraternité, ou la mort ?

A partir de mes expériences vécues comme supérieur général pour l’Afrique, parce que j’ai personnellement fait les expériences d’une communauté des blancs et des noirs pour que la congrégation soit véritablement internationale, et qu’en son sein les noirs et les blancs se sentent véritablement comme des frères, et agissent en frères pour ce témoignage de la fraternité.

Ensuite, j’ai vu à travers mes voyages, les différentes rencontres dans le continent, parce que j’ai visité plusieurs pays d’Afrique à part notre pays, qu’au fond, la fraternité c’est vraiment le nœud où l’on se retrouve partout entre frères et sœurs. C’est en même temps, un régime fratricide. Il ne suffit pas seulement de remarquer les choses, mais il faut agir.

C’est ainsi qu’avec une sœur espagnole, Isabelle, nous avons commencé une association qui s’appelle « Ekolo ya Bondeko », peuple de la fraternité et là-dedans nous mettons un accent sur ceux qui n’ont personne, parce que chez nous en Afrique, « la pauvreté n’est pas d’abord matérielle, c’est la pauvreté de la personne, c’est-à-dire, si tu n’as personne qui te donne de l’importance, qui se considère comme ton semblable, comme être humain et qui te respecte comme personne qui te respecte, son frère, « ezo pesa yo kilo », ça te rend ragaillardi, si tu n’as personne, ça te rend  vite pauvre. 

Or il y a même des personnes délaissées, abandonnées, des mamans, des papas qui sont abandonnés et cela nous a tellement frappé que ce groupe est orienté à l’itinérance, aller visiter les gens dans les rues, les prisons, les hôpitaux et découvrir là-dedans les sœurs et les frères qui, sans la relation avec eux, auraient déjà été enseveli.

Nous prenons chez nous des personnes abandonnées pour refaire des relations avec eux, se réconcilier avec leurs familles et la société. Nous dénonçons aussi un système fratricide : « to Bondeko, to liwa », là où il n’y a pas un lien fraternel, c’est la mort qui commence.

Que dites- vous des événements malheureux qui viennent de se passer en Afrique du sud ?

Cette situation fait évidemment très mal de voir que le combat d’un grand frère africain, Nelson Mandela, qui a lutté pour que les deux races puissent davantage cohabiter, vivent ensemble, il y a combattu pour que l’Afrique du sud puisse devenir une société multiraciale et de voir que maintenant les frères et sœurs noirs africains commencent à vouloir vivre un esprit de rejet par rapport à d’autres.

C’est vraiment une contradiction. Je pense que ceux et celles qui sont responsables au niveau politique, social et culturel aussi puissent faire en sorte que véritablement l’héritage laissé par Nelson Mandela ne déçoive pas le monde d’autant que les africains commencent à lutter contre les autres. Pour moi, cela nous invite nous tous à être vigilants.

On n’acquiert pas une fois pour toute la capacité d’aimer. C’est un apprentissage, il faut apprendre à s’oublier pour les autres, apprendre à voir dans l’autre, non pas un ennemi, une menace, mais une chance. Il faut en faire une chance. Mais en Afrique du sud, on n’en fait pas une chance, c’est le contraire, on en fait une menace. C’est un combat qui doit se poursuivre dans notre société, partout, chercher à voir l’autre comme une chance.

Que pensez-vous de l’avènement de Tshisekedi au pouvoir que l’on a qualifié de passation civilisée du pouvoir ?

Je n’aime pas trop entrer dans la politique politicienne, mais dans le signe qu’ils nous ont donné dans l’alternance veut être un signe d’espérance. Mais ce signe d’espérance, on le répète sans cesse, implique une nouvelle mentalité. Ill ne suffit pas seulement de la proclamer, mais il faut la vivre et cela commence à travers l’existence fraternelle parce que là où quelqu’un peut dépenser 1500 USD pour son repas, quelqu’un manque de médicaments pour vivre, là ça ne va pas.

La nouvelle mentalité commence par considérer l’autre qui mérite une assistance et être promus comme homme. Il y a dans notre société des hommes et des femmes qui sont encore déshumanisés.

Que dites-vous de la gratuité de l’enseignement ?

C’est une bonne chose et il faut reconnaitre de bonnes choses qui se font tout à fait, mais il y a au cœur même de l’enseignement des jeunes gens qui sont encore déconsidérés par rapport à la réalité de l’enseignement qui n’arrive pas à une qualité d’enseignement que d’autres ont, et quand la qualité de l’enseignement est revalorisée pour certains et que d’autres doivent se contenter des miettes d’enseignement sans qualité, demain ils vont continuer à être ce qu’ils sont. Ça remet tout cela en cause.

Quel est, d’après vous, comme prélat catholique, le vrai handicap du congolais et du Congo Kinshasa ?

L’un des nerfs de la problématique est qu’il y en a qui se sont laissées envahir par l’idolâtrie de l’argent. L’argent devient comme une idole, l’idolâtrie de l’argent. Et quand tu te laisses envahir par l’idolâtrie de l’argent, du pouvoir, du plaisir, tu n’as plus un cœur pour véritablement écouter, voir les misères des autres, parce qu’un idolâtre n’a pas un cœur. C’est là où nous devons changer. Aussi longtemps que nous faisons des choses des idoles et nous oublions la valeur absolue de chacun, or en Afrique c’est ce qui devrait être pour nous en ce moment de l’histoire comme une victoire, l’homme au centre. Comme tout autre humain qui a sa valeur. On nous a presque toujours dévalués, déconsidérés à travers l’esclavage, à la colonisation, le néo-colonialisme.

Le temps est là aujourd’hui de montrer cette nouvelle étape de l’humanité qui va partir de l’Afrique en donnant de la valeur, de la dignité à chaque être humain comme un frère et sœur. En touchant le problème de l’argent, on touche ce fameux problème d’idolâtrie, le néolibéralisme aujourd’hui c’est ça : l’argent, mbongo, nzimbu, c’est comme un dieu et on s’enfonce là-dedans et on oublie que les hommes et les femmes sont mille fois plus importants.

J’ai dit au peuple d’Inongo il y a 13 ans quand je devenais Evêque que « ce n’est pas la mitre que je porte sur ma tête, ni la crosse que j’ai à la main, moins encore les vêtements liturgiques que je porte qui me pleureront le jour où que mourais, mais c’est vous au contraire, qui le ferez et tous ces objets resteront entre les mains des autres ». Quand les hommes commencent à adorer les choses, ils s’égarent.  Nous ne pouvons pas perdre de vue la valeur profonde de chaque être humain, c’est un être qui mérite une dignité, une considération au-delà de ce que nous faisons maintenant.

Parlons, finalement de votre Inongo natal ? Autant de morts sur le fleuve Congo qui devient pour vous presque un cimetière ?

Moi-même je l’ai vécu, c’est-à-dire j’ai vu autant de morts qu’on apportait sur le rivage à Inongo. C’est incroyable. Nous avions écrit des lettres de protestation pour dire ce n’est pas possible, et c’est le manque des bateaux valables qui occasionnent toute cette tragédie. A l’époque belge il y avait des bateaux toutes les deux semaines. Et aujourd’hui, sans aucun bateau, l’on expose ce peuple. Il n’ya pas d’autres moyens et les gens s’engouffrent dans une embarcation qui ne peut porter qu’une cinquantaine des personnes, mais ils sont là une centaine. Tout ça c’est l’indifférence, le manque d’attention pour les gens simples, de mettre à leur disposition certains moyens de transport qui conviennent et pas les déconsidérer et faire comme si le problème est seulement quand il y a un accident, non.

Comment avez-vous fait pour échapper à l’idolâtrie et vivre aussi modestement ?

Il ya trois choses. D’abord c’est un appel personnel que j’ai senti, un appel auquel j’ai dit oui avec toutes les conséquences possibles que cela implique. La seconde chose est qu’une pareille vie demande la rencontre personnelle avec le Christ.

Enfin, une fois que l’on commence à cette vie, on découvre la richesse qu’il y a dans cette vie et c’est ce qui fait de moi ce que je suis. Il faut attaquer le mal par sa racine, briser le système fratricide, le système de Caen. Où la fraternité, ou la mort ; mais c’est la mort qui triomphe.

Propos recueillis par Jacques Kalokola             

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