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Pic de tension à la Monusco: les congolais réclament la tête de Leila Zerrougui

Depuis quelques semaines, la cheffe de la Monusco à annoncé de nouvelles suppressions d’emplois dans cette mission onusienne. Mécontent, le personnel congolais  est aussitôt monté au créneau pour dénoncer une décision illégale. S’en suivront en deux semaines, quatre jours d’arrêt de travail. Le représentant des congolais de la Monusco nous donne les détails de ce bras de fer.

Infocongo.net : Eric Blanchard Jibikila, bonjour, vous êtes le Président National des employés congolais de la  Monusco. Vous et vos collègues observez depuis mardi et mercredi  deux jours d’arrêt de travail. Mais, lundi et mardi dernier vous aviez observé deux jours de sit-in à Kinshasa et en provinces sur vos lieux de travail. Peut-on savoir pourquoi ?

Eric Blanchard Jibikila : L’ensemble du personnel national de la Monusco (plus de 2.200 personnes) est regroupé dans un syndicat que nous appelons National Staff Union (NSU en sigle). En rapport à la décision du leadership de la Mission d’abolir 555 postes nationaux, les congolais qui travaillent à la Monusco avaient organisé une Assemblée Générale Extraordinaire en date du 18 avril 2019. C’est à l’issue de cette assemblée, qu’il a été décidé de soumettre une pétition au Secrétaire Général des Nations Unies et d’organiser deux jours de sit-in de deux heures sur toute l’étendue de la République, soit les 6 et 7 mai 2019.
Cette pétition avait (je vous lis in extenso son contenu) :
Dénoncé avec force, l’abus d’autorité, le harcèlement et la politique de discrimination de Madame Leila Zerrougui à l’endroit du personnel national de la Monusco et du peuple Congolais ;
Dénoncé le budget présenté par elle, parce que ce budget ne respecte pas la Résolution 2463 qui exige une nouvelle revue stratégique indépendante avec toutes les parties concernées afin de définir les modalités de fermeture de la Monusco ;
Dénoncé le processus de suppression de 555 postes qui se déroule dans une opacité totale et en l’absence d’égalité de chance et de traitement ;
Demandé la démission et le départ, sans délai, de la République Démocratique du Congo, de Madame Leila Zerrougui, étant donné que son arrogance et son manque de considération du personnel local ne garantissent plus la paix sociale au sein de la Mission ; 
Demandé l’application stricte de la Résolution 2463 en ce qui concerne le maintien des effectifs actuels et tous les bureaux de la Monusco jusqu’à la présentation des résultats de la revue stratégique dont le rapport est attendu par le Conseil de Sécurité au mois d’octobre 2019 ;
Demandé l’implication et la participation des représentants de la NSU aux travaux de la revue stratégique indépendante de cette année tel que décidé par le Conseil de Sécurité dans sa Résolution 2463 ;
Demandé aux représentants de la NSU de prendre contact immédiatement avec le Président de la République de la RDC, afin de solliciter son plaidoyer quant à l’avenir actuel de la Mission en vue de réajuster le dialogue stratégique des autorités congolaises avec le leadership de la Monusco et des Nations-Unies afin de pérenniser les acquis de 20 ans de présence de la Mission en RDC ;

Prié le Secrétaire Général des Nations-Unies d’autoriser le paiement des indemnités de licenciement au personnel congolais injustement affecté par cette abolition des postes qui ne respecte pas la Résolution 2463, conformément aux dispositions des articles 9.3(a)(i) du Règlement et 9.6 (c) (i), de la Règle sur la gestion du personnel comme ce fut le cas en 2014 et 2017 ; et de prendre toutes les dispositions afin que leurs droits de pension soient également payés avant leur séparation d’avec l’Organisation, dans l’hypothèse où l’Organisation maintiendrait cette décision de suppression de 555 postes congolais.
Nous saisissons cette occasion pour dire qu’une deuxième assemblée générale extraordinaire a été organisée en date du 10 mai 2019, et cette assemblée n’avait pas décidé de l’arrêt de travail, mais avait demandé à tout le national staff de prendre deux jours de congé médical non certifié, conformément aux dispositions pertinentes du règlement du personnel de l’ONU. Ce n’est pas une grève, ni un arrêt de travail, mais l’exercice d’un droit reconnu par l’Organisation. Ces deux jours seront mis à profit par le national staff pour attirer l’attention des décideurs afin que tout le monde se mette autour d une table pour discuter sur les possibilités de solution dans l’intérêt de l’Organisation et du national staff de la Monusco.

Personnel congolais de la Monusco, Kinshasa

IC : Pourquoi faire ces revendications maintenant ?

E.B.J : Ces revendications sont faites maintenant parce que c’est la période de vote du budget de la Monusco à New York. 

IC : Avec le sit-in avez-vous obtenu ce que vous réclamez ?

E.B.J  : Avec le sit-in, nous avons obtenu en date du 05 mai 2019 l’accusé-réception de notre pétition par Mme Martha Helena Lopez, qui est l’Assistante du Secrétaire Général des Nations Unies chargée des Ressources Humaines, avec la promesse de répondre à nos revendications dans les jours qui viennent, tout en recommandant à la NSU et au Leadership de la Mission de maintenir un dialogue constructif.
En dehors d’elle, la Délégation Générale du Gouvernement chargée de liaison avec la Monusco a aussi pris contact avec nous pour comprendre la situation en vue de faire rapport à la haute hiérarchie de la République.
Malheureusement, au moment où nous laissons nos portes ouvertes pour un dialogue constructif, nous apprenons que la Mission continue à avancer sans désemparer avec sa décision en faisant adopter son budget devant le Comité consultatif chargé des questions administratives et budgétaires (CCQAB). Désormais, la Mission demande l’abolition de 564 postes des congolais et non plus 555. Et ce budget qui doit définitivement être voté le 28 mai 2019 par la 5e Commission de l’Assemblée Générale, se réfère à la Résolution 2409 de 2018, alors que le Conseil de Sécurité a voté depuis le 29 mars 2019 une nouvelle Résolution 2463 sur la Monusco, dont le paragraphe 22 a décidé du maintien des effectifs actuels, pendant que le paragraphe 45 prie le Secrétaire général de procéder à un examen stratégique indépendant de la Monusco permettant d’évaluer les menaces qui continuent de peser sur la paix et la sécurité et dans lequel sera énoncé un plan de retrait échelonné, progressif et exhaustif, dont les résultats lui seront présentés au plus tard le 20 octobre 2019.

IC : Mais si la Monusco veut fermer à tout moment, c’est son droit non? La Monusco explique qu’elle ne fait qu’appliquer la décision de l’ONU et l’a encore répété ces dernières heures dans les médias ?

E.B.J : Nous rappelons que la Monusco est venue en RDC sur invitation des autorités congolaises et son départ, que nous ne réfutons pas, doit aussi se faire en accord avec les autorités congolaises. C’est l’esprit de la Revue stratégique qu’a recommandé la Résolution 2463 du Conseil de Sécurité.
La Monusco n’a pas que des droits, elle a aussi des devoirs et obligations dont la première est de respecter les résolutions du Conseil de Sécurité qui fixe son mandat chaque année.
A notre connaissance l’ONU n’a pas demandé à la Mission de réduire 555 ou 564 postes des congolais, mais a demandé à toutes les missions de maintien de la paix de faire des efforts pour réduire leur budget.

C’est ici que le bât blesse. En effet, nous pensons que la Mission pouvait faire des économies sur d’autres lignes opérationnelles, comme l’aviation (la Monusco serait la 1ere compagnie aérienne en RDC), les contrats de fournitures de service, les produits pétroliers, les rations, les dépenses médicales, les achats, etc.

Au niveau du staffing, la Mission aurait pu également dégager des économies en procédant à la nationalisation des postes, c’est-à-dire transformer en postes nationaux les postes des internationaux qui coûtent très cher à la Mission. C’est la logique de la stratégie de sortie que les Nations Unies ont toujours préconisée et cette nécessité a été rappelée au Leadership de la Monusco depuis mars 2018. Pourquoi refuse-t-on de nationaliser les postes après 20 ans d’existence de la Mission ? Pourquoi pendant que l’on supprime les postes des congolais, la Mission continue à recruter des internationaux ? Et au même moment, les internationaux dont les postes sont supposés être abolis, bénéficient d’un exercice de placement dans d’autres secteurs avec possibilité d’obtenir la prime d’installation budgétivore dont le coût peut facilement payer le salaire annuel du congolais le moins gradé.

IC : Pourquoi doutez-vous que la Monusco ne fait qu’appliquer les ordres reçus. Et qu’est ce qui vous rassure que le siège suspend toute opération de retrait? Vous parlez de retrait alors que la Porte-parole de la Mission a indiqué lors de la dernière conférence de presse du 08 mai 2019 que les abolitions en cours n’avaient aucun lien avec le retrait de la Monusco ?

E.B.J : Cette réponse avait pour but d’éviter le mot retrait que la Résolution 2463 a justement interdit ou du moins recommandé après le rapport de la revue stratégique en Octobre 2019.
Je répondrai à votre question par une double interrogation : Pourquoi la Mission n’arrange-t-elle pas des discussions directes entre les Représentants de la NSU et les autorités du siège ? Pourquoi depuis le 24 avril 2019 date du dépôt de notre pétition aucune autorité n’a daigné répondre sur la question fondamentale de la Résolution 2463 ?La réponse à ces deux questions met en exergue la problématique de la transparence et de l’égalité de chance pour conduire ce processus en respectant la dignité du personnel national. Dans l’hypothèse où elle exécuterait les décisions du siège, notre pétition a demandé que ces congolais reçoivent une juste réparation avec la procédure d’indemnisation prévue par le règlement des Nations Unies. Pourquoi applique-t-on ce règlement dans le sens de ne pas laisser ces congolais affectés bénéficier desdites indemnités ?

En quoi les congolais qui avaient reçu les indemnités en 2014 et 2017 sont-ils différents de ceux de 2019 ?
En effet, la moyenne d’âge du staff national de la Monusco est de 50 ans. Quel est cet employeur qui peut recruter un homme ou une femme avec cet âge en RDC ? Si la Monusco accepte de payer ces indemnités de licenciement comme en 2014 et 2017, les congolais seront contents de partir pour se lancer dans des activités productives afin de participer à la reconstruction du Congo. Notre gouvernement devrait se préoccuper de cette question des indemnités parce qu’elles représentent des capitaux frais qui pourraient servir le pays.

IC : Pourquoi selon vous la cheffe de la Monusco ferait les choses de son propre gré refusant d’appliquer la Résolution en cours ?

E.B.J : La Cheffe de la Monusco est mieux placée pour répondre à cette question. Elle nous a dit lors d’une réunion qu’il n’y avait aucun lien entre le budget et la résolution 2463, réponse qui nous a laissés perplexes jusqu’à ce jour parce que si vous regardez tous nos précédents budgets, il y a toujours un lien entre la résolution du mandat et le budget qui doit soutenir l’exécution de ce mandat. C’est pourquoi, la résolution est votée au mois de mars et le budget entre fin mai et début Juin. C’est le mandat du Conseil de Sécurité qui détermine les priorités et décide sur les grandes orientations que le budget matérialise avec les ressources financières et humaines.
On nous a également dit que c’est l’ancien régime qui avait demandé que la Monusco quitte la RDC mais comment cette demande ne s’applique qu’au personnel civil en général et congolais en particulier si l’on sait que la Résolution 2463 a explicitement décidé que les effectifs militaires ne bougent pas. Comment ces effectifs travailleront ils efficacement s’ils ne sont pas appuyés par le personnel civil congolais ?

IC : Vous demandez sa révocation. N’est ce pas exagéré ?

E.B.J : NON. La pétition a demandé sa démission et son départ, sans délai, de la République Démocratique du Congo. Il y a une grave crise de confiance et le changement du leadership peut contribuer à la solution, telle a été le fond de la pensée de tous les congolais qui ont signé cette pétition.

IC : Dans ces revendications vous avez aussi saisi les autorités congolaises. Que vous ont elles répondu? Qu’attendez vs des autorités congolaises ?

E.B.J : L’envoi au chômage de 564 congolais dans des conditions aussi ‘‘suspectes’’ devraient interpeller les nouvelles autorités du pays qui ont fait du social leur cheval de bataille. Derrière ces 564 congolais, il y a des milliers d’autres congolais qui ne seront pas épargnés.
Pour le moment, nous avons eu quelques discussions avec la Délégation Générale du Gouvernement chargée de liaison avec la Monusco et nous continuons d’attendre la disponibilité du Premier citoyen congolais pour lui faire l’honneur de lui présenter nos doléances pour non seulement s’intéresser en bon père de famille à cet exercice de réduction des postes mais aussi échanger avec lui sur les possibilités de trouver des mécanismes pouvant permettre à la Nation de bénéficier de l’expertise et des capacités de tous ces congolais qui ont servi les Nations Unies pendant autant d’années.

IC : Eric Blanchard Jibikila, je vous remercie.

Entretien réalisé par Madona wa Madona

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